La Marge Sans Centre
Ou Le Récit Errant De Georges Bataille

Bruno Ribeiro de Lima*
Paris VIII, USP, Polart


Resumé

Cet article problématise la notion de «marge» à partir de la lecture de certains récits de Georges Bataille. Chez l’auteur, l’idée d’errance est centrale, car l’errant n’étant pas une figure binaire, il impose une réflexion globale de l’écriture, et de la théorie littéraire. D’où une critique des termes courants lorsque l’on pense les «marges», comme «frontières», comme «écart», etc. L’idée de voix sera aussi traitée, parce que c’est elle qui avance sans cesse, dans et par l’errant. L’écriture de Bataille se trouve comme une recherche d’une marche en avant, et qui se construit en s’installant partout.

Mots clefs : errance ; marge ; voix ; écoute ; phrasé.

Recibido : 19 de enero de 2016

Aprobado : 28 de abril de 2016

The margin without centre or the errant narrative of Georges Bataille

Abstract

Through a reading of a selection of Georges Bataille’s narratives, this article problematises the notion of ‘margin’. For Bataille, the idea of wandering is central : since his errant is not a binary figure, it forces a broad reflection both on writing and on literary criticism. Thus a critique emerges of the terms used when thinking of margins : ‘border’, ‘disparity’ etc. The idea of ‘voice’ will also be examined, since it is this which continually moves forward, as both cause and consequence of the errant. Bataille’s work positions itself as always seeking this forward motion, as writing that places itself everywhere.

Key words : wandering, margin(s), voice, listening, phrasing.

Cómo citar este artículo

APA: Ribeiro de Lima, B. (2016). La marge sans centre.Ou le recit errant de Georges Bataille. Poligramas, No. 42, junio. Pp.: 33-52

MLA: Ribeiro de Lima, Bruno. “La marge sans centre.Ou le recit errant de Georges Bataille”. Poligramas 42 (2016): pp. 33-52 Print.

Chicago: Ribeiro de Lima, Bruno. 2016. La marge sans centre.Ou le recit errant de Georges Bataille. Poligramas 42 (junio): pp. 33-52

Gare à la réflexion visant à penser l’idée de «marge» car elle se révèle fallacieuse. Le piège se situe soit dans la définition, soit dans l’application de la définition. Deux problèmes surgissent alors : le premier questionne ce que serait «définir», le deuxième ce que serait «appliquer». Or, dans cette étude, il n’est question ni de définir la «marge», ni d’ «appliquer» une telle définition aprioristique. À partir des récits de Georges Bataille, en particulier de ceux établis par l’Édition de la Pléiade1, on cherche à comprendre le fonctionnement de ce qu’on pourrait nommer «marge» par son corollaire, c’est-à- dire l’idée de «centre». Le piège de la «marge», le «centre», se cache partout dans la totalité d’un système de signifiance. Cela permet de ne pas réduire la «marge» à l’idée de frontière, et sa transgression. D’où l’importance de la notion d’« errant» comme modèle pour réfléchir l’articulation «marge-centre». Qu’est-ce que le «centre» dans un récit où il n’y a pas d’«histoire» ? Est-ce le sens ? Comment affirmer que l’écriture de Bataille «décentre» quelque chose ? Le «centre» chez l’auteur est l’errance. C’est-à-dire, le point d’appui, c’est la marche toujours tout droit. L’écriture, en se construisant, bâtit ses fondements et avance sans s’arrêter. Ce mode opératoire neutralise les notions de centre et de marge, car, dans le même temps, tout point d’appui, tout port d’attache devient un centre et une marge. L’écriture comme errance, ainsi, englobe d’un mode critique, les frontières qui, a priori, séparent le «centre» de la «marge».

L’errance sans erreur

L’idée d’errance existe explicitement chez Bataille, il ne s’agit toutefois pas d’une réflexion sur l’écriture. Dans Madame Edwarda, on lit : « Je commençai d’errer dans ces rues propices qui vont du carrefour Poissonnière à la rue Saint-Denis»2. Ou encore, dans Le Bleu du ciel, à propos du personnage Dirty, le narrateur affirme qu’elle «se promenait en marchant droit devant elle comme si elle ne devait plus s’arrêter : elle semblait littéralement folle»3. Chez Bataille, la folie présentée comme une «promenade» attire l’attention d’abord par la non récurrence d’une telle association. Le mot «errant» ne figure pas dans le passage, mais la caractérisation de cette manière de se promener comme «marcher tout droit» fait que le plaisir et le libre-arbitre apparemment contenus dans l’idée de promenade sont entrés immédiatement dans le paradigme de l’errant, c’est-à-dire de celui dont l’unique objectif est de continuer, toujours tout droit. Il habite sa marche et son chemin. D’où la continuité sans autre but que de continuer. L’errant ne rentre pas à la maison. Il est toujours chez lui.

Dans l’extrait, l’adverbe «littéralement» attire, lui aussi, l’attention pour deux raisons : tout d’abord parce qu’il renvoie à la «lettre», c’est- à-dire à l’écriture. Ce qui nous permet d’aller vers une pensée englobant la folie et l’écriture, puisque Dirty est décrite comme «littéralement folle». La deuxième raison repose dans la valeur que les adverbes en «-ment» représentent dans le système de l’auteur, notamment la fonction morpho-prosodique régulatrice du mode de lecture de la phrase. Comme on l’exposera plus loin, les adverbes en «-ment» se trouvent au centre d’une accentuation de la phrase de Bataille, créant ainsi une sémantique rythmique. Fonction qui s’attache à la pensée de l’écriture comme lente errance : parce qu’un des points forts de la littérature de Bataille est qu’elle avance sans se développer. Elle se manifeste comme critique de la concaténation des idées et du développement, dans le sens où «écrire» pour «dé-velopper» serait «enlever le voile» d’une chose. Critiquer le développement cela veut dire en même temps affirmer la non existence d’un centre (ce qui est enveloppé) ou d’un voile (quelque chose qui enveloppe le centre, c’est-à-dire, la marge).

Mais qu’est-ce qu’une folie «conforme à la lettre» ? Si le modèle est l’écriture, cela signifie que la folie doit être écrite pour être expérimentée. Lorsque les personnages Troppmann et Dorothea du Bleu du ciel se trompent de chemin à un moment du récit, on découvre qu’ils ont marché «longtemps» par des «sillons fraîchement ouverts» ; et que finalement, ils ont «perdu le sentiment d’exister»4. Cette expérience révèle le sentiment de l’errant ; car l’errance enseigne l’inconnu. Les

personnages ont franchi le cap du sens, et à partir de là, il ne reste plus que l’errance pour englober la nécessité de marcher. Celle-ci se retrouve alors objet et objectif. Par-delà la frontière qui refermait tout ce qui relevait alors de l’ordre du connu, les personnages vont exister autrement. De nouveaux sillons devront être tracés, puisqu’ils ont dépassé le bon chemin. Cette transgression enrobe le discours de la folie et du délire, parce que, comme l’indique son étymologie, délirer veut aussi dire «sortir des sillons»

L’expérimentation du sentiment d’errance éprouvé par les per- sonnages exemplifie le mode de l’écriture romanesque de Georges Bataille. L’invention des personnages n’étant possible que par le biais de la lettre montre à contre-pied comment la lettre invente les personnages. Ce n’est pas par hasard que l’errance de Troppmann le conduit vers le plus grand enquêteur de l’homme : le Sphinx : «j’errai d’un café à une rue, d’une rue à un autobus de nuit ; sans en avoir eu l’intention, je descendis de l’autobus, et j’entrai au Sphynx»5. Symbole culturel de LA question, le Sphinx renvoie à la fable d’Œdipe, l’errant par excellence. L’errant porte en lui une condamnation, un malheur, qu’est la fugue insatiable, car sa destinée est irrémédiable. Pour cela, Troppmann et Dorothea errent à travers le long «mauvais chemin», à l’opposé du «bon chemin [qui est] très court» et se fait «sans difficulté»6. Le chemin tracé, suivant la ligne droite des sillons, c’est-à-dire, sans délirer, n’est pas le chemin de l’homme (du poète). La littérature, en particulier, l’écriture de Bataille marche côte à côte avec la figure d’Œdipe, mais tout de suite après et en même temps, avec le Sphinx. Dans la fable, la grande majorité des lectures se concentrent simplement sur la résolution de l’énigme accomplie par Œdipe, mais oublient – ou ne voient pas – la spécificité de la question. L’énigme dit :

Quel être est pourvu d’une seule voix, qui a d’abord quatre jambes, puis deux jambes, et trois jambes ensuite ? 7

Bien que l’attention portée à cet être soit attirée immédiatement par ses jambes (il est quadrupède, bipède et tripède en même temps),

sa spécificité n’est pas dans sa bizarrerie, mais dans le fait qu’il «n’a qu’une voix»8. Les jambes de l’homme, c’est cela la voix. Le terme grec φων «phônè», «voix», se trouve au centre de l’énigme, comme ont pu le voir Carrière et Massone, qui traduisent φων par «vocable» : «quel est l’être désigné par un vocable unique»9. Selon les auteurs, «vocable» traduit le sens «objectif» de «phônè», car «c’est le vocable désignant l’homme, qui ne change pas plus que son essence»10. Le problème est identifié mais pas développé, une fois que la solution se trouve dans un simple échange de mots. Ainsi on constate que l’idée de «vocable» présentée par les auteurs reste très proche de celle de «mot», voire de «son».

Pour Bataille, la voix se trouve au centre de la réflexion sur la littérature, comme il l’écrit en 1957 :

“La littérature est la seule voix, déjà brisée, que nous donnons à cet- te impossibilité glorieuse où nous sommes de ne pas être déchirés ; elle est la voix que nous donnons au désir de ne rien résoudre, mais, visible- ment, heureusement, de nous donner au déchirement jusqu’à la fin.”11

Si la réponse à toute question est «homme», la définition de l’humain est dans la voix. Et par voix, il ne faut pas entendre la réalisation vocale (oral), puisque celle-ci change dans le temps. Posséder une seule voix veut dire que la spécificité de l’homme est fondée sur la disposition à se positionner constamment comme sujet. Avoir de la voix, c’est être sujet. Et une des manières les plus puissantes de se positionner comme sujet est dans et par l’art. En écrivant sur l’art (peinture, musique), Lévi- Strauss, dans le dernier paragraphe de son ouvrage Regarder, Écouter, Lire conclut que «les hommes ne diffèrent, et même n’existent que par leurs œuvres»12. Le propos anthropologique intéresse ici dans le sens où la signature de l’homme se trouve dans sa capacité d’être dans et ce qu’il fait. Il faut se rappeler que ce sont les Muses, les représentantes des arts, qui enseignent l’énigme au Sphinx : c’est l’art qui questionne l’homme. Il n’est pas anecdotique que l’une des Muses a pour nom «Caliope», c’est-à-dire «celle qui a une belle voix».

En d’autres termes, l’errant, comme transfiguration du poète, sa «condamnation» consiste à porter en lui la force du poiein, de la création, de l’invention. Dans Lascaux, ou la naissance de l’art, Bataille associe l’«art» à la «naissance de l’homme», parce que l’art, selon l’expression de l’auteur, représente «l’aurore de l’espèce humaine»13. Si «errer» s’oppose à «reposer», il n’est pas anodin que l’auteur défende que l’existence humaine, « nous ne la trouvons jamais au repos, et c’est pourquoi notre pensée est un débris porté par un torrent»14. L’agitation et le «tumulte» sont des opérateurs créatifs chez l’auteur15. Pourtant, l’effervescence peut se faire silencieusement et lentement. Elle peut passer inaperçue aux yeux des lecteurs, et offusquer le regard critique, comme celui de Jean-François Louette, qui, en essayant de mettre au premier plan l’aspect décentralisateur des récits de Bataille, met en relief, au contraire, ce que serait le «centre» dans l’œuvre, à savoir, «l’histoire qu’il raconte». En outre, le critique écrit comme à regret que, chez Bataille, « les mots n’ont pas de sens fixe»16. L’argumentation fondée sur la décentralisation vaut parfaitement dans le discours de Louette simplement parce qu’il défend (et voit) l’existence d’un centre. Le mot lui-même apparaît sous sa plume pour caractériser le deuxième pseudo-épilogue du Petit : à la place d’un épilogue, l’auteur «décentre» une préface d’Histoire de l’œil 17 et avance vers l’autobiographie. Si le centre se confirme comme étant le «contenu», ou l’«histoire», le récit de Bataille fait résistance contre le sens qui s’assoit et entraîne avec lui le sédentarisme des conventions.

Lente effervescence

La métaphore n’appartient pas aux figures de style de prédilection de Georges Bataille. Ainsi, dans les rares situations où elle apparaît, elle finit par souligner l’élément en question, car, nulle métaphore n’est innocente. C’est le cas, dans L’Abbé C., lorsque le narrateur veut « formuler exactement la difficulté que trouve la littérature»18: la métaphore cherchée est celle d’une voiture sur la route. Cette voiture, quand elle en voit une autre (celle du narrateur) s’approcher d’elle, se déporte sur sa gauche pour la doubler, accélère et part à toute vitesse laissant derrière elle celle qui a voulu la doubler. Selon l’auteur, la sensation d’impuissance que la première voiture fait sentir à celle qui essaie de la doubler «est l’image de l’objet que poursuit l’écrivain»19. La similitude phrastique entre les deux énoncés est flagrante : «la difficulté que trouve la littérature» et « l’objet que poursuit l’écrivain». De même dans la première phrase que dans la seconde, le dernier mot est le sujet du verbe qui le précède, c’est-à-dire, la «littérature» et l’ «écrivain». Comme deux subordonnées, les mots «littérature» et «écrivain» se définissent en tant que noyau de la sentence. Bien que dans l’extrait l’importance, au niveau de l’énoncé, retombe sur l’écriture, il ne s’agit pas d’un discours du type «exaltation de l’écriture ». Celle-ci ne se définit pas comme une construction de la pensée, ni comme une conquête, mais dans son opposé : l’objet que l’écrivain poursuit «n’est le sien qu’à la condition, non d’être saisi, mais, à l’extrémité de l’effort, d’échapper aux termes d’une impossible tension»20. Le champ sémantique d’une «course-poursuite» se révèle aussi par le champ lexical employé : l’écrivain poursuit. Pourtant, il s’agit ici d’un déplacement discursif, vu que dans une course-poursuite, celui qui poursuit sait ce qu’il poursuit: son but se trouve devant lui, visiblement. Alors que, pour l’écrivain, son objet se construit dans et par la poursuite. De ce fait, il est question de construire l’objet de la recherche (ou de la poursuite) à l’opposé de l’objectif. Dans l’apparence d’une course-poursuite, c’est bien la course qui prend l’avantage.

Une certaine effervescence qui pourrait être pensée à partir du champ lexical utilisé («vitesse d’un bolide», «toute la force de son moteur»,«elle foncerait alors d’avantage»)21se neutralise par le discours de la perte, car, dans cette course, celui qui reste en arrière est l’exemple du perdant. L’écrivain se pose comme un perdant face à l’objet vers lequel il avance. De cette façon, il ne reste pas d’autre possibilité à l’écriture que d’avancer. C’est même son objectif de continuer, en avançant, car, selon la réflexion de l’auteur, écrire, c’est affirmer qu’on entre dans la dispute déjà comme des perdants. L’écrivain est voué à l’échec.

Telle est la construction de la ruine chez Georges Bataille. L’effondrement des bases, ou de tout ce qui se place au centre des concaténations des idées (comme les fausses effervescences à l’exemple d’un plaisir éprouvé lorsqu’on double à toute vitesse une voiture, ou qu’on atteint l’objet poursuivi), s’effondrent, et laissent de l’espace à la possibilité de se construire d’autres bases sur d’autres fondements. Ruiner, ce n’est pas détruire, mais ébranler, voire dépoussiérer, pour avoir la chance de voir autrement. La réflexion à partir d’un présupposé centre de la pensée oscille entre l’explicite et l’implicite, comme lorsque la négation vient couper la phrase citée ci-dessus : « n’est le sien qu’à la condition, non d’être saisi, mais [...]», ou «non d’être saisi» est un argument de résistance face à la possibilité de se penser à la possession d’un objet poursuivi. Ce discours de la résistance, du point de vue d’une rythmique de la phrase, a une valeur sémantique très forte : car il brise brusquement la locution indivisible «à la condition de» et accentue l’effet de rupture (ou d’opposition) produit par la phrase négative. Ainsi, le travail de la négativité s’exhibe en même temps qu’elle montre la linéarité qu’elle rompt. La négativité est le nom de cette tension entre le continu du discours et le discontinu des mots. La syntaxe, ici, joue un rôle : elle théâtralise le discours de la ruine.

Si l’information de la métaphore étudiée ici cherche à unir «lenteur» et «écriture», l’auteur avertit qu’un « lecteur ne peut se contenter d’écouter et de recevoir une image déjà faite, il doit sauter dans l’inconnu»22. Bataille quand il joint radicalement «image» à «voix», sollicite qu’une image soit écoutée. D’où un acte de lecture comme une écoute forme un seul système où «lire» et «écouter» ne signifient que mutuellement. L’enjeu est d’exiger que l’information, ou l’énoncé d’un récit, soit interprété(e) par la notion d’«écoute». La phrase coupée de l’auteur demande un mode de lecture où le débit de l’information soit régulé d’une manière lente. Ce qui fait de la lecture de l’organisation de ce débit l’objet même de l’écriture, comme on lit dans L’Abbé C. : «ces réflexions interrompues ont peu de sens… Ou peut-être est-ce d’avoir été interrompues qui leur en donne… Un sens évidemment fêlé» 23, où «interrompre» fonctionne comme mode opératoire du sens. On pourrait se demander : quel sens ? mais la valeur d’une telle question importe moins parce que le phrasé attire l’attention vers ce qui se produit sous les yeux du lecteur, c’est-à-dire son fonctionnement. La dernière phrase, «un sens évidemment fêlé», peut, notamment être lue au moins de deux manières : comme complément du verbe «donner» («donner un sens évidemment fêlé ») ou en respectant le rythme imposé par les points de suspension, comme une phrase pleine, isolée et complète («un sens évidemment fêlé»). Un «sens fêlé», comme le montre le français familier, serait un sens qui a perdu la tête, qui est devenu fou 24. Il est important de rappeler que, dans le contexte énonciatif du récit, ce passage est la réponse d’un personnage et non la voix du narrateur. Les points de suspension ici en même temps qu’ils démontrent l’effet de non-conclusion des phrases accentuent l’existence et le travail de cette voix qui réalise cet effet. L’espace de jonction entre les phrases laissé par les points de suspensions créerait une double accentuation (avant et après eux) : après les points, le premier mot de la phrase serait accentué rythmiquement par l’ouverture de phrase («un sens») ; mais la ligne mélodique non conclusive de la phrase précédente (leur en donne… ) envahit la ligne mélodique d’ouverture de la phrase suivante. Ce type de fonctionnement, qui est une tension entre l’incomplétude d’un énoncé et le remplissage rythmique-sémantique de l’énonciation est courant dans le discours oral, lieu où les phrases incomplètes trouvent d’autres modes de signification, comme les silences, l’intonation, les gestes, les répétitions, etc… bref, tout ce qu’on nomme communément comme «le corps dans le langage». Rien ne manque à toute phrase du point de vue discursif. Elle est toujours pleine.

La signification est représentée chez Bataille, jamais présentée. Si on lit «fêlé», «interrompre», ces énoncés cachent un autre travail que seule l’écoute de l’écriture peut voir. C’est dans ce sens que le travail de l’écriture vis-à-vis de l’errance se trouve côte à côte, dans le sens où il est construit, c’est-à-dire rendu visible a posteriori : tout décrochage énonciatif, représenté par les points de suspension, instaure un nouvel accrochage permettant une avancée incessante. Un re-commencement. Le texte vu à partir du mode de l’errance crée ainsi des nouvelles connexions qui dépassent notamment l’usage des connecteurs logiques. Chez l’auteur, on remarque souvent la quasi-absence d’adverbes de relation logique («ainsi», «toutefois», «donc», «cependant», etc.) ; ce fait nous permet de porter une attention particulière au rôle significatif des adverbes modalisateurs spécifiquement ceux en «-ment». Une des fonctions de tel type d’adverbe, très récurrent chez l’auteur, est celle de faire transporter le lecteur vers l’énonciation de l’énoncé. En tant que modalisateurs, ils portent, avant même tout sens qu’on leur attribue, une attitude, un geste. Il s’agit d’un geste de mot : c’est le mot qui gesticule et signifie. Selon la morphologie des adverbes en «-ment», ils dérivent toujours d’un adjectif dans sa forme au féminin. Ainsi, s’il y a un adjectif dans l’archive de tout adverbe, sa fonction modalisatrice est la marque d’une fonction qualitative de l’autre. Si du point de vue morphologique, modaliser est une spécificité donnée à une action, chez Bataille, l’adverbe prend sa force en ce qu’il porte la marque d’une subjectivation, d’une signature d’un sujet, c’est-à-dire son geste. Il faut voir comment ce geste gesticule.

Dérochage énonciatif

Un geste constant parmi l’usage spécifique des adverbes chez Bataille relève du décrochage énonciatif. Il y a des situations particulières où ce décrochage est valorisé par une forte ponctuation25, notamment dans le début de La Scissiparité : «nul ne m’entend. L’opacité, l’éternité, le silence vides ― évidemment de moi»26. Après la séquence énumérative marquée par les virgules («l’opacité», «l’éternité», «le silence»), le tiret demande une pause encore plus importante que la virgule, et rompt ainsi le phrasé concaténé. Cette pause est importante mais ce n’est pas tout : elle crée une attaque vocalique à ce qui la suit, à savoir, l’adverbe «évidemment». Soulignons aussi le continu prosodique qui s’établit entre «m’entend» (/̃̃/) et «évidemment» (/evidã/), créant ainsi une rime qui met en tension ce continu avec le discontinu syntaxique.

«Entendre» se lie à «évidemment», et de ce nœud prosodique les deux termes s’autodéfinissent et signifient ensemble et en même temps. Le même fonctionnement s’installe avec le mot «vides» et «évidemment» (/vid/ / evidamɑ̃/), où, comme il fut démontré, le tiret accentue le discontinu de la phrase. Ainsi, la prosodie accroche le texte là où l’énoncé le décroche puisque, en ce qui concerne la syntactique, dans l’extrait, rien ne fait le lien entre des mots ici rapprochés prosodiquement. Les connexions qui s’installent, vu qu’elles s’éloignent de la logique syntactique, montrent, dans le discours, c’est-à-dire quand le mot est geste, que la signifiance est globale et non séquentielle. Cette question, l’auteur la développe rapidement dans L’Abbé C. lorsqu’il pense à «l’impossibilité d’approcher l’objet même de son livre autrement que par des efforts se succédant»27. Bien que soit présent le terme «succession», l’enjeu se concentre dans les «efforts». Bataille ne serait-il pas en train de solliciter de son lecteur un certain effort pour sortir des sillons battus de la lecture et créer ses propres chemins dans les sens que le texte lui indique ? Chez l’auteur où la folie fait partie des thèmes courants, le lecteur n’aurait-il pas la responsabilité de créer un mode de lecture compatible avec le mode de l’écriture de la folie ? Ces questionnements nous reviennent surtout à partir de l’expression déjà citée «littéralement folle». La folie dans et de la lecture correspond à une inscription du sujet dans l’acte de la lecture permettant ainsi de continuer le texte dans l’invention d’une lecture affolée. Parce que l’œuvre folle dérange les arrangements de la société, son statu quo, et l’individu. Dans Le Bleu du ciel, la description de la folie de Dirty crée une ressemblance phrastique propre au paradigme de la folie : «elle semblait littéralement folle», «elle allait sûrement délirer», «elle s’affola»28.

Toujours à propos du débit de l’information réglé par les adverbes dans le récit de Bataille, un trait caractéristique de la langue française se trouve au centre de la discussion : les liaisons. Il est possible que les adverbes en «-ment» fassent la liaison avec le mot qui les suit seulement si celui-ci commence par une voyelle ou par une «h» non aspiré, comme dans « elle est sournoise, pâle et volontairement indécente»29: le français préférant la suite Consonne Voyelle explique pourquoi le /t/ non prononcé de «-ment» se tire vers le /ɛ/d’«indécente». Mais d’autres facteurs peuvent empêcher la liaison, comme un signal de ponctuation («volontairement… indécente», «volontairement «indécente»»).

En revanche, si un mot finissant par une consonne («souffrir») se place avant un adverbe dont la première syllabe se compose d’une voyelle («affreusement»), la liaison reste facultative, pourtant elle se fait plus automatiquement ; une fois qu’elle est faite, l’adverbe reçoit une attaque consonantique par la liaison, comme dans la phrase, «elle paraissait souffrir affreusement»30. Comme pour l’adverbe antéposé, un signal de ponctuation peut régler une liaison facultative : «une angoisse, au début, infiniment subtile, infiniment forte»31, où le /t/ non prononcé de «début» ne se lie pas à «infiniment». Ici, à part les virgules, la répétition du mot «infiniment» crée, par écho prosodique, une accentuation qui fonctionne comme une ponctuation : les deux mots se détachent de l’énoncé, ce qui renforce son autonomie dans la phrase, et le détache d’une liaison facultative.

Les liaisons montrent qu’il y a une règle générale à respecter, mais qu’elle-même crée une ambiguïté, une hésitation discursive toujours sémantique, parce que l’accentuation n’est pas la même, une fois l’adverbe changé de place : «Ils sont sourds͡ suav͡ ement.» Ils sont suavement sou͞ rds32

Dans le premier cas, on a un fort contre-accent (suite d’accents) : ici trois retombent sur les syllabes /sɔ̃/suR/sɥav/ plus l’accent de fin de groupe (/mᾶ/) produisant une chaîne /sɔ̃/suR/sɥav/mᾶ/. Le second cas, on a un contre-accent (/sɔ̃/sɥav/) au début de la phrase, mais pas à la fin, où on n’a que l’accent de fin de groupe sur /suR/ plus l’accent par écho prosodique /s/ de /sɔ̃/sɥav/suR). La différence essentielle repose sur la suite de quatre accents dans le premier exemple, et deux dans le second, puisque la syllabe «-ment» n’est pas accentuée. La position antéposée de l’adverbe rompt ainsi la chaîne prosodique (/sɔ̃suRsɥavmᾶ/). En revanche, dans le premier exemple, la position postposée produit systématiquement une accentuation de l’adverbe dû à sa position de fin de groupe. Dans le premier cas, le discours accentue une manière d’être sourd, alors que dans le second, il s’agit d’une caractéristique de la surdité.

Dans La Scissiparité, le narrateur dit que, enfant, il mettait dans des minuscules cages à mouches des «insectes odieusement vivants»33. Sont-ils odieux parce que vivants ou parce qu’il sont des insectes (comme si, essentiellement, tout insecte était odieux), mais que, par hasard, ils sont vivants ? Où est le centre de l’information ?

Dans «Projet de préface» à La Scissiparité, Bataille écrit qu’il a «cherché en pensant – ou en écrivant – une tricherie qui dérobe, qui échappe, qui défasse les liens», et finit par un aveu «je me moque, me dérobe et mens»34. La nécessité de défaire les liens (de lecture), est dite explicitement. À à deux reprises le terme «dérober» revient, mot cher à l’auteur par son amplitude significative allant de la valeur dénotative, comme «dissimuler», «éviter», «s’éclipser», jusqu’au jeu morphologique, car chez Bataille, «dérober» est aussi «enlever la robe»35 . Le verbe «dé-rober» se trouve donc au milieu d’un processus de nudification du sujet. Ce qui explique la nécessité d’un «défaire» et la mise en valeur des moments où quelque chose échappe, glisse, comme la robe glissant pour tomber. Mais dans le texte, le phrasé montre-cache le substantif «dérobement» : «Je me moque, me dérobe et mens». Du point de vue phonétique, la différence entre «dérobement» (/deʁɔbmɑ̃/) et «dérobe et mens» (/deʁɔb e mɑ̃ /) se repose sur le décrochage énonciatif de « dérobe // et mens». La conjonction «et» crée une forte pause, rompant la ligne mélodique, d’où résulte une différenciation 36. Le substantif se révèle caché, non pas parce qu’il est réellement présent, mais parce que sa présence n’est possible que dans l’énonciation. Il appartient ainsi au discours. Pour se montrer, il se cache dans l’énoncé, mais l’énonciation le révèle, comme dans le jeu de la mort et de l’érotisme où ces instances «se dérobent dans l’instant même où ils se révèlent»37. En somme, il n’y a pas de «phrase» sans son «phrasé»38.

Du centre à la marge du centre de la marge…

Une des conséquences du travail fondé sur les notions de «marge» et «centre» réside dans la force que l’idée de «transposition» reçoit. Nourrie par des incompréhensions, la transposition «brouille» tout travail qui veuille se définir dans la clarté. C’est ce qui arrive aux commentaires de Jean-François Louette à propos de Bataille. Le critique, en écrivant sur Le Bleu du ciel, n’hésite pas à dire que le roman serait «un équivalent romanesque de Malaise dans la civilisation»39; ou encore, que le «modèle de la séance»40, c’est-à-dire de la consultation psychiatrique fonderait «un principe d’écriture» basé sur le «transfert» de savoirs41. Certains mots reviennent couramment chez le critique, comme «correspondance», «équivalence», «reflet». Ce champ lexical, plus il s’élargit, plus il contribue à installer le paradigme du transfert jusqu’à ce qu’il passe inaperçu. Jusqu’à ce qu’il devienne une évidence. Le problème de la transposition ne se pose pas sur la réception d’un savoir, d’une thématique ou d’autre chose, mais sur l’origine de ce qui est transposé. Qu’est-ce qui fait que Le Bleu du ciel n’est pas le Malaise dans la civilisation ? Si le roman porte sa définition comme une transposition d’un savoir psychiatrique, ce même savoir se trouve hiérarchiquement en position supérieure au roman. On pourrait se demander «comment» une certaine connaissance peut être vue dans un autre moyen, un autre «support» ? Qu’est-ce qu’il y a dans le roman qui permet d’affirmer qu’il s’agit bien d’un transfert d’un modèle tiré de la consultation médicale ? Car, ce n’est pas la consultation qui fait le roman, mais le c’est le roman qui, seul, invente l’articulation entre un savoir et lui-même. Il se construit comme la possibilité même d’une telle affirmation. Pourquoi, notamment, le roman «traduirait- il» mieux une pensée scientifique ?42 – psychiatrique pour Le Bleu du ciel, biologique pour La Scissiparité ? La question ne se pose plus en rapport à la transposition mais à la valeur d’un tel exercice de la pensée. La logique courante de la «source», d’une origine d’où surgiraient les thèmes d’un auteur… s’effondre. Parce que la «source» est l’œuvre tout entière. Elle naît là où la lecture donne sa naissance. Avancer la pensée dans le paramétrage de la logique de la source, suivant la métaphore, débouche dans un sceau bien délimité, sans fuite, où rien n’échappe. Ce seau donne la possibilité d’aller chercher à la source ce qui fut transféré. Une autre difficulté commune dans l’argumentation du transfert montre le problème des ruptures des frontières, ou même leurs établissements. La logique binaire est au cœur de la problématique du transfert. Lorsqu’on cherche à faire entrer le système spécifique d’un savoir, externe au roman (externe même quand celui-ci «raconte», soit l’histoire de ce savoir, soit une histoire où ce savoir s’y trouve comme «personnage»), on nie la spécificité du récit en faveur d’un a priori pouvant être, notamment, l’application d’une théorie littéraire bien délimitée.

Mais Bataille n’applique rien : ni au sens esthétique (comme un appliqué de couture, c’est-à-dire un motif détaché qui sera cousu pour servir d’ornement), ni au sens théorique, comme outils d’une théorie, d’un cadre théorique prêt à être employé. Dans les deux sens, le geste reste le même : il s’agit d’accentuer une hétérogénéité par des éléments séparés bien qu’ils soient mis ensemble. Un cadre déjà défini ne montre aucune spécificité de l’objet sur lequel il s’applique. La nécessité de l’application existe avant même celle de l’objet, ce qui caractérise un a priori. La démarche de la poétique se place à l’opposé de l’application: l’objet crée sa théorie. Ce qui explique qu’une théorie faite à partir de l’œuvre puisse être «appliquée» à d’autres écrits d’un même auteur. Dans ce sens, il n’est plus question d’application, mais d’une continuation transsubjective de l’œuvre et de l’écriture sur l’œuvre, qu’est la théorie. De ce fait, l’œuvre est toujours globale, jamais une somme de textes. Si la théorie fonctionne à un certain point, elle a de fortes chances de fonctionner partout, puisque c’est ce «partout» qui construit le système de l’œuvre autant qu’il est construit par le système. L’application traditionnelle consiste à faire de la différence une question d’objet d’études, jamais de l’étude en soi. Cela explique l’indifférence théorique quand on applique la même théorie à des objets distincts43. Pour la poétique, le point de partie repose sur la différence. Dans la langue, tout est différence, rappelle Saussure. Parce que «langue» est un système, cela veut dire que les unités se définissent par binôme : une valeur, bien qu’elle soit très proche d’une essence, ne se définit qu’en coopération, fait qui annule l’idée même d’essence comme valeur univoque et transcendante.

La critique parfois regarde les récits de Bataille avec un air de regret, comme lorsqu’on voit clairement le Dostoïevski du Sous-sol dans Le Bleu du ciel. Mais, contre le léger regret, un rapide et précis commentaire de Duras sur l’auteur retient toute notre attention : Georges Bataille, selon l’écrivain, « nous désapprend la littérature»44. Désenseigner est tout sauf ne pas enseigner. Duras voit chez Bataille l’écrivain capable d’enseigner la possibilité d’apprendre autre chose. Et le commentaire est d’une écrivaine déjà consacrée écrivant sur un autre écrivain, lui aussi consacré, situation exemplaire pour penser l’importance du lieu d’où l‘on parle : Duras se trouve, et se retrouve, dans l’articulation entre un écrivain écrivant sur l’écriture d’un autre et l’écrivain écrivant sa propre écriture. De cette manière, l’«autre» de Duras surgit à partir de Bataille. Cette situation révèle l’installation d’un transsujet en même temps que l’expérience de la transsubjectivation. Toute idée de transport, de traduction ou même de convergence s’annule lorsque entrer dans l’écriture de l’autre devient une manière de sauter dans son propre inconnu45. Parce que dans l’inconnu, l’errance est le seul mode opératoire d’avancement. Si l’œuvre communique, ou transporte, elle va d’elle vers elle-même ou entre œuvres (Duras étant le nom de l’œuvre-Bataille étant lui-même le nom de l’œuvre). La volonté de réfléchir à un «dehors de l’œuvre» se trouve au centre de la critique, puisque l’œuvre est toujours un «dedans» sans «dehors». Réprimer le manque de «style» des récits de Bataille, ou nommer comme étant «curieuse»46 la ponctuation de l’auteur est un signe d’un manque : sauf que, ici, ce qu’il manque, c’est bien le style des autres. Parce que la ponctuation non respectée est, elle aussi, la ponctuation des autres. Il faut connaître ce que signifie connaître l’usage de la langue chez un écrivain pour avancer sur la «curiosité» et le «non-respect» : c’est le sens du «désenseigner» de Duras. C’est, peut-être, cet enseignement sous le signe de la négativité qui «intimide» les critiques47.

Pour conclure, en reprenant les mots de Saussure, si le point de vue crée l’objet, la spécificité des études littéraires consiste à créer son objet, ou mieux, le rencontrer à la fin de la recherche. On l’«attrape» quand la «course» finit. Cet objet est le centre, c’est-à-dire le point de vue du chercheur, qui est une écoute de l’œuvre ; et en ce qu’elle est une écoute, elle ne peut que se placer comme une continuité de l’œuvre : un recommencement, une voix qui part de l’œuvre et va dans sa direction. Si par «œuvre» ici on comprend qu’elle est ce qu’elle fait dire, le chercheur se trouve dans un espace immédiatement critique : en plein milieu d’un dire sur et d’un dire à partir de.

La transposition comme conséquence du renfermement des notions de «marge» et de «centre» renforce, dans une spirale infinie, les frontières de ces notions, d’où en résulte une fragilisation lorsqu’il est question de réfléchir à un fonctionnement spécifique de chaque notion.

Modèle qui doit être considéré dans son ampleur épistémologique, c’est-à-dire, dans l’approximation différente des notions comme source de problématisation et fonctionnement critique. La difficulté consiste à penser davantage l’articulation, car elle est fragile – mais plus fructueuse – qu’un morceau conceptuel prétablit. Pour cela, l’errance comme posture est essentielle, parce qu’elle s’installe dans le point faible de l’articulation, et fait la critique à l’instabilité du langage, qui, comme suggère Saussure, ne se constitue (le langage) que par la différence. Pourtant, ce qui est instable n’erre et ne part pas à l’aventure. Dans le discours quotidien, les fondations du langage restent stables, ne bougent pas. Cette stabilité est nécessaire pour le bon fonctionnement des échanges (personne ne s’attend à un croissant quand on énonce «une baguette, s’il vous plaît ?»). Le langage, vu qu’il n’est pas autre chose que l’homme dans son activité historique, n’est pas «instable» mais errant. Cela veut dire qu’il part tout le temps et sans cesse. Et même les conventions du sens des mots (le nœud dur de la langue) sont historiques et susceptibles aux mouvements de l’histoire. Le langage ne s’assoit pas. Parce que l’homme, lorsqu’il a la parole, se met en question tout le temps, et se positionne, dans et par la parole, comme sujet : «est sujet celui par qui un autre est sujet», écrit Meschonnic48. Si le centre se concentre sur le sujet, tout centre est marge quand il est vu par celui qui regarde l’autre comme un non-sujet.

Bibliographie

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. (1998). Traité du rythme, des vers et des proses, (en collaboration avec Gérard Dessons), éditions Dunod.

Citas de pie de página

*Doctorado en Lengua y Literatura francesa en la Universidad de París VIII (ac- tual) . Master doble en culturas literarias europeas de la Universidad de Estrasburgo y la Universidad de Bolonia (2009-2011).

1 Bataille, G. (2004). Romans et récits. Paris : Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade». Toute citation extraite de Romans et récits sera donnée simplement avec le titre de l’extrait (ou du roman) et la page. Pour tout autre ouvrage, la référence complète sera indiquée.

2 Madame Edwarda, p. 329.

3 Le Bleu du ciel, p. 115.

4 Idem.,p. 198-199.

5 Idem., p. 136. Sphynx était le nom d’une maison close réputée (et chère) dans Paris des années 30-40.

6 Idem., p. 199.

7 Apollodore, «Œdipe et le Sphinx», Bibliothèque, III, 5, 8. Version numérique en ligne : http://ugo.bratelli.free.fr/Apollodore/Livre3/III_5_8.htm

8 «Qu’est ce qui n’a qu’une voix ?» in Apollodore d’Athènes, Les Trois livres de la Bibliothè- que d’Apollodore, ou L’Origine des Dieus, 1605, p. 176.

9 Carrière J-C. & Massone, B. La Bibliothèque d’Apollodore, Besançon, Centre de recherches d’histoire ancienne : vol. 104, 1991, p. 93.

10 Idem., p. 224.

11 «Le Paradoxe de l’érotisme», La Nouvelle Revue française, n° 29, mai 1955 (cf. : OC XII, p. 325).

12 Lévi-Strauss, 1993, p. 176.

13 Lascaux, ou la naissance de l’art, in OC IX, p. 11.

14 OC XII, p. 322.

15 «Le tumulte est fondamental, c’est le sens de ce livre», La littérature et le mal. Paris, Ga- llimard, 1957, p. 9.

16 «Notice» du Petit, p.1142.

17 Ibid.

18 L’Abbé C., p. 646.

19 Ibid.

20 Ibid.

21 Ibid.

22 «Autour de “L’Abbé C”», p. 737.

23 L’Abbé C., p. 710.

24 Bien qu’il s’arrête «aux thèmes du désir, de la folie er de l’acéphalité», Jean-François Louette a bien raison de voir une force sémantique dans l’expression «perdre la tête» récurrente dans L’Abbé C. Cf. p. 1082, note 18.

25 Henri Meschonnic attire l’attention vers la confusion entre «ponctuation et signe de ponc- tuation», ce qui justifie une ponctuation sans avoir nécessairement le recours à un signe spécifique de ponctuation, comme dans le cas des blancs dans l’écriture de Bataille. Voir : Meschonnic, Henri. Traité du rythme, des vers et des proses, (en collaboration avec Gérard Dessons), éditions Dunod, 1998, p. 109.

26 La Scissiparité, p. 597.

27 L’Abbé C., p. 709.

28 Tous les passages dans Le Bleu du ciel, p. 115.

29 La Scissiparité, p. 599.

30 Le Bleu du ciel, p. 115.

31 L’Abbé C., p. 701.

32 Éponine, p. 743. On a forgé le deuxième exemple à partir du premier.

33 La Scissiparité, p. 600.

34 «Autour de “La Scissiparité”», p. 605.

35 «Je pense comme une fille enlève sa robe» in, Méthode de méditation, OC, V, p. 200.

36 Le mot «dérobement» pouvant éventuellement être transcrit /deʁɔbəmɑ̃/, comme dans la prononciation du Midi, notamment.

37 Les Larmes d’Éros, op.cit, p. 78.

38 Voir l’article de Gérard Dessons : «La phrase comme phrasé» in La Licorne, Revue de lan- gue et de littérature française, (1997), Numéro 42 – «La phrase».

39 «Notice» du Bleu du ciel, p. 1055.

40 Idem., p. 1046.

41 Idem., p. 1047 et 1046.

42 Gilles Ernst affirme que La Scissiparité est «une vraie traduction dans la fiction», in «Noti- ce» de La Scissiparité, p. 1247.

43 C’est la démarche proposée par Cornille dès les premières lignes de son ouvrage Les Récits de Georges Bataille, empreinte de Raymond Roussel, Paris, L’Harmattan, 2012, où il est écrit clai- rement : «Et si l’on cherchait [...] à dégager de l’œuvre de Bataille, non plus ce qui rend celle-ci unique, signée et singulière, mais commune, pareille aux autres [...] ?», p. 9. On relira attentive- ment l’énumération phrastique « unique, signée et singulière» qui est exemplaire de l’installation d’un brouillage épistémologique, où les mots sont pris les un par les autres sans distinction. Ce qui confirme la démarche de l’auteur.

44 Duras, Marguerite. «À propos de Georges Bataille» (1958), in Outside, Paris, Albin Michel, 1981, p. 34.

45 Voir note 22.

46 «Nous en respectons la ponctuation parfois curieuse», in «Note sur le texte» du Bleu du ciel, p. 1077.

47 «La critique, au seul nom de Bataille, s’intimide», in Duras, op. cit., p. 34.

48 Meschonnic, 1995, p. 255.